Crise agricole, une solution peut-elle être envisagée ?

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Alors que se déroule le 53e Salon International de l’Agriculture, Porte de Versailles à Paris, le monde agricole vit une crise dont l’ampleur est sans précédent. Disparition des exploitations agricoles, faillite du système actuel et suicide des agriculteurs doivent nous questionner afin de trouver des solutions à cette crise.

Le 11 octobre 2015, 600 croix blanches ont été disposées au sanctuaire de Saint-Anne d’Auray, dans le Morbihan. C’est le nombre d’agriculteurs qui chaque année se suicident, près de deux personnes par jour en France. L’initiative de Jacques Jaffredo, un maraîcher, a été soutenue par Mgr Centène, évêque de Vannes afin d’interpeller l’opinion publique. Cet évêque a créé une cellule d’aide psychologique et les prêtres sont invités à se rendre régulièrement dans les fermes.

Dix évêques du Grand Sud-Ouest de la France ont signé le 9 février 2016 une déclaration de soutien au monde agricole. Si la Mutualité Sociale Agricole (MSA), grâce à son propre dispositif de prévention a pu détecter et accompagner des situations de fragilisation (838 en 2013), son action n’a pas jugulé le nombre de suicide d’agriculteurs qui demeure en constante augmentation.

« Il nous est impossible de vivre sans nourriture ! Les agriculteurs qui la produisent ont un métier particulièrement noble. Ils méritent la reconnaissance et la considération de toute la société » Extrait du communiqué fait par dix évêques

Travailler 90 heures par semaine, affronter les créanciers, vivre des aides (insuffisantes) sans avoir un revenu décent, subir les aléas du marché... et le désespoir des agriculteurs montrent les limites atteintes par le système agro-industriel qui a été mis en place depuis plus de 50 ans. De plus cette agriculture « moderne » a créé des problèmes qui rejaillissent sur la santé des agriculteurs et potentiellement des consommateurs à cause de tous les pesticides utilisés. Des pollutions agricoles atteignent les nappes phréatiques. Des protections ont dû être installées autour d’écoles touchées par ces pollutions. Récemment plusieurs reportages dont celui de Cash Investigation ont fait état de ces pollutions insidieuses.

Les prix agricoles stagnent alors que le prix des intrants (pesticide, engrais...) et du matériel ne fait qu’augmenter. La marge des agriculteurs est réduite à néant dès que les prix du marché s’effondrent. Et les aides européennes ne régulent plus le marché car la règle imposée est avant tout autre le libre échange commercial en Europe mais aussi avec les autres pays (Canada, Etats Unis) Dernièrement l’accord entre les organisations agricoles sur le prix du porc à un seuil minimal de 1,40 euro le kilo et le groupe Intermarché a été visé par une enquête de la Commission Européenne car il fait obstacle au libre marché.

En urgence, il nous faut repenser notre modèle de production agricole et les aides apportées aux agriculteurs. Plusieurs voix, y compris dans les organisations agricoles, s’élèvent pour dire que le modèle actuel est à bout de souffle. Le nombre d’exploitations agricoles est passé de 700 000 en 2000 à 515 000 en 2010 alors qu’en 1988, elles dépassaient 1 000 000. Proportionnellement la perte a touché principalement les petites exploitations. Or, selon un rapport de l’ONU les petites structures agricoles produisent 75% de la nourriture à l’échelle mondiale. En France, on est passé d’une majorité de fermes en polyculture-élevage à des entreprises spécialisées en monoculture ou mono-élevage. L’agriculture moderne a ainsi perdu en autonomie, en biodiversité et en fertilité des sols.

« Les agriculteurs ont le droit de choisir le modèle d’agriculture qu’ils souhaitent, pourvu qu’elle soit respectueuse de notre planète destinée à nourrir durablement toute l’humanité. Ils ont un savoir-faire qui mérite d’être partagé et écouté. Ils ont besoin d’être accompagnés sans que leur soit imposé un modèle unique. » Extrait du communiqué fait par dix évêques

Comment sortir à long terme de cette crise ? Réorienter la PAC (politique agricole commune) européenne est bien sûr une des pistes. Au lieu d’être basée principalement sur une prime à l’hectare, elle doit viser de nouveau à réguler les marchés et chercher à développer une agriculture qualitative, moins polluante, moins gourmande en énergie. Des incitations sont nécessaires afin de développer des systèmes alternatifs (agriculture biologique, agroécologie, permaculture...) ou de créer des circuits courts de vente (terroir, territoire, local...)

Les circuits courts sont bénéfiques pour l’agriculteur qui voit son travail mieux rémunéré, pour le consommateur qui connaît la qualité des produits, pour la planète puisque les émissions de CO² liées au transport sont fortement réduites. Et ce circuit court local crée du lien social qui permet à l’agriculteur de ne pas s’isoler. Certains se regroupent aussi pour vendre localement sur les marchés, en boutiques de producteurs ou en AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne)

agri-tomateLes cultivateurs, producteurs, éleveurs... recherchent des solutions durables créant ainsi un nouvel horizon pour l’agriculture. Une des premières étapes est de réaliser des économies sur les intrants et sur les achats extérieurs. Certains éleveurs ont repensé complètement leur modèle de production en s’appuyant sur l’agronomie des sols et le retour à l’herbe. Ils ont retrouvé une rentabilité. Le passage à des méthodes bio, à l’agroécologie voire la permaculture ou l’agroforesterie est une démarche encore plus poussée. Elle s’appuie sur les capacités du système naturel à s’équilibrer, à s’harmoniser et à interagir en symbiose (sol, association de plantes, micro-organismes du sol, faune auxiliaire, etc...)

Dans ces démarches, l’agriculteur est valorisé en tant que « gardien » de l’environnement, de la nature... Il cultive la terre au sens le plus noble de ce verbe non pour « l’exploiter » mais pour en sortir les meilleurs fruits. Et il retrouve sa dignité d’homme !

Nathanaël Bechdolff


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